En cette rentrée, nous avons trouvé intéressant de partager cette expérience réalisée par Jérémie Fontanieu, professeur au lycée de Drancy en Seine Saint Denis, que nous avons eu l’occasion d’entendre dans un média:
Depuis plusieurs années, Jérémie Fontanieu développe une méthode pédagogique permettant à ses classes d’obtenir 100% de réussite au baccalauréat. Le professeur de Sciences Économiques et Sociales associe les familles à cette démarche et tente chaque année de redonner confiance à ses élèves.
Il explique que dans le département le plus pauvre de France, l’échec scolaire n’est pas une fatalité. Il y développe une méthode mise au point avec ses élèves, avec leurs parents, avec les collègues. L’Idée est de ne plus exercer son métier de manière solitaire, de ne plus donner ses cours porte fermée, coupé des autres professeurs, coupé des familles, assumant seul la culpabilité d’un système grippé.
Il met en place des évaluations très fréquentes:
« Sur le conseil d’un formateur que j’avais eu durant mon année de stage, j’ai mis en place des contrôles systématiques. Tous les professeurs improvisent, et essayent de trouver des solutions face aux difficultés qu’ils rencontrent. Comme mes collègues, j’improvise. J’ai testé ces évaluations hebdomadaires sous la forme de QCM pour ne pas passer trop de temps à corriger. La correction des copies est très chronophage. J’ai essayé et j’ai vu que les résultats étaient plutôt encourageants. Avec cette sorte de rituel, les élèves ont fait un peu plus d’efforts. Mais ce n’était pas suffisant. »
Alors j’ai décidé d’appeler les parents régulièrement:
« Un jour, j’ai prévenu la classe : « À partir de la semaine prochaine, en dessous d’une note de quatre sur dix : j’appelle les parents. Personne ne m’a cru, et moi-même, pas tout à fait. Cela aurait dû être un coup de bluff. Depuis le début de l’année, les élèves étaient plus sérieux en classe, et avaient fait des efforts. Les progrès étaient très encourageants. Mais ils ne révisaient pas du tout à la maison, et souvent, ils ne s’y mettaient que la veille de l’évaluation. Une attitude assez courante. J’ai été obligé de mettre en application ma menace parce que cela n’a pas suffi. Dans notre formation, on ne nous a jamais présenté les familles comme de potentiels partenaires. On nous a dit : « Si vous faites bien votre cours, si vous préparez des séquences claires, cela va bien se passer dans la classe. »
La première fois que j’ai appelé un père d’élève, j’ai eu peur de sa réaction : j’ai eu peur qu’il me juge, qu’il pense que je ne faisais pas bien mon travail. Toute pédagogie est critiquable, et en particulier la mienne, avec des tentatives un peu improvisées. On a tellement de choses à gérer nous les professeurs: les préparations des cours, les évaluations, le fait de simplement garder la tête hors de l’eau… C’est lourd. Et je ne parle même pas des rémunérations insuffisantes , des conditions de travail qui se détériorent en raison des politiques publiques, du prof bashing qui s’ajoute… Alors qu’on a la tête sous l’eau, on se demande pourquoi on se rajoute cette tache supplémentaire en appelant les parents. Mais avec mon collègue prof de maths, on a eu la chance de tomber sur des familles formidables. Dans les quartiers populaires, il y a une vraie foi dans l’école comme ascenseur social. Et j’ai fait attention à ne pas appeler les parents pour leur parler de la mauvaise nouvelle : la note faible. Mais de parler de la prochaine évaluation. La promesse d’un espoir, la semaine prochaine cela pourra être mieux. En rapprochant les familles de l’enseignement scolaire dont elle se sentaient complètement exclues, en individualisant le rapport aux familles car chacune a un regard singulier sur son enfant, en contribuant à le faire évoluer, en adaptant notre échange avec chaque famille, un cercle vertueux s’est installé petit à petit. Le premier geste de la méthode consiste en effet à aller chercher les familles à les remettre au centre et ensuite, on individualise les relations. »
Cette approche permet de faire de la place aux timides:
« Et puis on permet ainsi de faire évoluer les règles tacites qui façonnent la hiérarchie au sein de la classe. Beaucoup d’élèves sérieux, mais timides, se font écraser dans cette sorte de société qu’est la classe. Il existe souvent une prime à ceux qui font le plus de bruit, qui ont le plus de caractère. Ces quelques fortes têtes poussent à l’autocensure ceux qui ont moins de facilité à exister en groupe. La conséquence du travail avec les familles qui s’applique à tous les élèves : ils sont mis à égalité. Les fortes têtes deviennent un peu moins bruyants, ou prennent un peu moins de place. Les timides prennent confiance en eux : ils sentent qu’il est davantage possible de s’exprimer sans être l’objet de remarques, de sarcasmes ou de moqueries. Ils vont ensuite souvent tirer la classe vers le haut et devenir des leaders. L’attitude des élèves changent vis à vis du professeur et entre eux. »
Jérémie parle du mythe du professeur héroïque:
Cela a pour conséquence de déresponsabiliser les élèves, les familles et bien sûr l’institution. « Le mythe selon lequel on pourrait tout faire par nous-même ; le travail avec les familles a pour conséquence de répartir le travail. Dans l’éducation national, chacun fait à sa manière, la liberté pédagogique c’est important, il ne faudrait pas voir la démarche que je mets en place comme une méthode à appliquer par tous. L’envie d’essayer, c’est premier. » Cette démarche permet de sortir du sentiment de fatalisme ou de résignation. Les élèves se rendent compte par l’expérience qu’ils en sont capables.
Livre : « L’école de la réconciliation »
Jérémie Fontanieu
éditions : Les liens qui libèrent